LE PARACHUTE

Le parachute

Lorsqu’en 1495, Léonard de VINCI pensa le parachute, le commun des mortels ne vit qu’hérésie. Pourtant le grand précurseur de l’aéronautique venait de découvrir les lois de la chute d’un plus lourd que l’air. Dans son traité : « del volo senza batterali per favor del venlo » (du vol sans battement d’aile avec l’aide du vent) écrit en 1506, Léonard de VINCI donnait la définition suivante . Si un individu saute avec un pavillon de toile empesée, dont chaque face ait douze brasses de large et qui soit haute de douze brasses, il pourra se jeter de quelque hauteur que ce soit et descendre sur le sol sans danger.

L’histoire du parachute ne se déroula pas sans drames. Si Léonard de Vinci donne les bases scientifiques qui permettent de concevoir une voilure, il est un fait que l’homme n’attendit pas l’an 1500 pour s’élancer dans le vide. Il est probable que l’homme des cavernes rêvait d’imiter les oiseaux. Selon la légende, la première victime fut BLALUD, le père du roi Léar. BLALUD, au dessus de l’actuelle Londres tenta un vol plané parachuté, c’était en 852 avant Jésus-Christ. Bien plus tard en l’an 1060 c’est Olivier de MALMESBURY qui saute d’une tour. Au cours de sa chute planée, il parcourt la distance de 120 pas. L’atterrissage est un peu dur, l’apprenti oiseau se brise les deux jambes.

La narration d’un véritable saut est fournie par Simon de la LOUBERE, envoyé spécial de Louis XIV à la cour de Siam. Ses écrits publiés en 1691 parlent d’un danseur de la cour du roi de Siam qui s’élançait d’une tour de bambous, suspendu à deux immenses parasols de soie.

À partir de 1777, débute l’essor du parachute tel que nous le connaissons aujourd’hui. Joseph MONTGOLFIER tente l’aventure. Équipé d’un parachute de sa fabrication, doté d’une enveloppe rigide, il saute du haut de sa maison. Ce qui est sur c’est qu’il donnera son nom au ballon à air chaud quelques années plus tard.

En 1782 Louis-Sébastien LENORMAND s’inspire des écrits de Simon de la LOUBERE. Le 29 décembre de cette année là, il procède à plusieurs expériences au sud de la France, à Montpellier. Pour l’heure les cobayes sont un chien et un chat. Le 26 décembre 1783, LENORMAND s’élance les yeux fermés… de la hauteur d’un toit, probablement de 15 mètres. Il atterrit sain et sauf ! Son parachute pour bizarre qu’il soit, à nos yeux d’homme moderne, est constitué d’une enveloppe rigide et d’une nacelle en osier dans laquelle siège le parachutiste. La conception de l’enveloppe est très proche de l’idée originale de Léonard de VINCI. L’histoire retiendra que LENORMAND proposa le mot parachute à l’Académie.

André-Jacques GARNERIN provoqua l’événement le 22 octobre 1797, il donna sa vraie dimension au parachute. Devrais-je décevoir maints sportifs et professionnels de la coupole et de l’aile, force est d’affirmer que le sieur GARNERIN est un saltimbanque. Certes au sens noble du terme, son spectacle dûment préparé était le fruit d’une recherche approfondie et passionnée. GARNERIN est né à Paris le 31 janvier 1769.

Dès 1790, il s’initie à l’aérostation en réalisant plusieurs vols au jardin Ruggièri. Il insista auprès du Comité de Salut Public pour que l’armée soit dotée de montgolfières. En 1793, nommé Commissaire de la République, il fut envoyé comme aérostier sur le front austro-hongrois. Le 25 octobre, il est capturé par les Anglais à Marchiennes, qui le remettent sans attendre aux Autrichiens. Incarcéré dans la prison de Bude en Hongrie, il put méditer à loisir, sur le parachute. Il pensa même s’évader en usant de ce moyen inconnu et profiter de l’effet de surprise. Finalement son séjour dans la forteresse prit fin en 1796, par la grande porte, lors de sa libération.

Cependant GARNERIN avait gardé de ses réflexions, le souci du sauvetage des aérostiers. Aidé par le physicien Charles, il assembla la première voilure souple déployable par l’effet du vent relatif. Fort des calculs de Charles, il grimpa dans une montgolfière le 22 octobre 1797. il s’éleva au-dessus du parc Monceau à la hauteur de 350 toises, soit 700 de nos mètres. À 17 h 23 GARNERIN trancha net les cordes de la nacelle, provoquant sa propre chute. La voile qui n’était pas pliée s’ouvrit en un instant, les spectateurs purent entendre le claquement sec du vent gonflant la coupole hémisphérique. En descendant, GARNERIN observa les oscillations incontrôlables décrites par la nacelle d’osier dans laquelle il était installé. L’atterrissage brutal, sans conséquences pour l’aérostier, eut lieu à quelques distances du parc Monceau, si bien que c’est à cheval, que le héros y fit un retour triomphant. L’astronome LALANDE porta la nouvelle de l’événement à l’Institut. Pour la première fois de l’humanité, un homme venait de réussir un saut en parachute, GARNERIN rejoignait ICARE au pinacle des célébrités volantes.

Poursuivant ses essais, GARNERIN s’élancera une nouvelle fois en 1802 devant une foule venue en nombre suivre l’exploit. Parti de 400 mètres de hauteur le parachutiste ne dut sa survie qu’à un miracle. La voile fermée à son sommet décrivit de dangereuses oscillations, mettant la vie du parachutiste en danger. L’air s’engouffrait sous la coupole, celle-ci étant close, l’air n’avait d’autre issue que de ressortir par les cotés, engendrant ainsi un phénomène incontrôlable de balancement. Sur les conseils avisés de son frère Jean-Baptiste, GARNERIN pratiqua une ouverture au sommet de la coupole. De la sorte une partie de l’air contenu pouvait s’échapper par le haut, évitant les débordements. Les descentes suivantes ne posèrent plus de difficultés majeures. Par la suite GARNERIN affublera l’ouverture d’une cheminée d’un mètre de hauteur, aussi curieuse qu’inutile.

Le 16 décembre 1804, journée du sacre de l’empereur Napoléon 1°, il s’illustra pour la dernière fois. Il offrit au nouvel empereur un cadeau représentatif de de l’événement. Il s’agissait d’un énorme ballon perdu, portant inscrit en lettres d’or la mention « Paris 25 frimaire an Vlll – Couronnement de l’empereur Napoléon 1° par sa Sainteté Pie VII ». Le ballon décolla du parvis de Notre-Dame, ses illuminations s’éteignirent aussitôt. ll survola le Vatican, ira se déchirer sur la tombe de Néron pour finalement se poser dans le lac Bracciano. Le ballon fut repêché et resta suspendu à la voûte du Vatican jusqu’en 1814. Curieux destin et mauvais présage, c’était suffisant pour prononcer la disgrâce du glorieux parachutiste. Il mourut en 1824, Ie 18 août, non sans avoir retrouvé les faveurs du pouvoir en la personne de Louis XVIII.

Sa nièce Élisa, fille de Jean-Baptiste GARNERIN devint la première femme parachutiste. Elle effectua une quarantaine de sauts. Les représentations réunissaient sur le Champ de Mars une foule enthousiaste qui accourait nombreuse à l’annonce des représentations. C’est en Angleterre qu’une nouvelle page du parachutisme devait se dérouler. Un certain COCKING, voulu démontrer une nouvelle théorie. L’impudent avait imaginé une coupole dont la concavité était inversée. Il décolle le 27 septembre 1836 à bord du ballon Nassau, piloté par GREEN et SPENCER. La suite est logiquement tragique, la voile ne se gonfla pas, mais se replia sous l’effet du vent relatif, entraînant la mort de COCKING.

Parmi les grandes évolutions du parachute, on remarque en 1817 l’œuvre de l’Américain BALDWlN. il remplaça la devenue traditionnelle nacelle en osier, par une ceinture. D’aucuns, acrobates de foire, iront jusqu’à produire des spectacles dans lesquels ils sauteront suspendus à des barres fixes, ignorant le risque, à défaut de connaître le mot sécurité.

L’étape suivante est franchie par l’Allemande Kathe PAULUS qui en femme bien ordonnée met au point une méthode de pliage du parachute. Nous sommes en 1850. Le Français Jean-Baptiste GLORIEUX, en perfectionniste, imagine de ranger l’ensemble voilure et suspentes dans un sac. Ceci est toujours de rigueur aujourd’hui, même si le matériel évoluant et la technique de pliage se sont améliorés de concert au fil des ans.

Aux États-Unis, un jeune américain IRVING, tente en 1910 sa première expérience à Los Angeles. Il n’avait que 14 ans lorsqu’il propulsa un chat dans les airs. Sous un ballon d’air chaud, le chat fit une ascension remarquable. Une fois l’air refroidit, un petit parachute devait faire redescendre l’animal sur terre. Sans doute les choses se passèrent-elles ainsi, malheureusement le vent qui soufflait en altitude emporta la pauvre bête vers le Pacifique, où elle disparut à jamais.

L’impétueux IRVING n’insista pas. La passion de l’air le dévorait. Il s’initiera au pilotage des dirigeables puis à celui des ballons. Il travailla pour Universal Film Compagny. Dans le même temps un Français, tout aussi mordu d’aviation que lui, obtint la renommée internationale. Le 19 août 1913 à Buc, un certain Adolphe PEGOUD saute d’un Blériot sacrifié pour l’expérience. La voilure du parachute BONNET est fixée sous le fuselage de l’appareil. Actionnée par PEGOUD, celle-ci se déploie et extrait ce dernier de son siège. Au cours de sa descente sous voile, l’aviateur observe son Blériot qui loin de se crasher décrit de larges circonvolutions dans l’azur estival. Il vient de découvrir la voltige aérienne, prélude des futurs exploits qui firent de lui le père de la voltige aérienne. De l’autre coté de l’Atlantique, IHVING réussit à convaincre un pilote de le laisser sauter de son avion. À l’époque, le monde scientifique était persuadé qu’un avion ainsi délesté brutalement s’écraserait au sol. Heureusement pour le pilote, il put démontrer la sottise d’un tel raisonnement, et se posâ sans encombre, comme d’ailleurs IRVING venait de le faire un peu plutôt, mais en parachute. Survint la Grande Guerre, sur le front, les aérostiers observateurs, exposés à la mitraille, subissent de lourdes pertes. On tente bien de les ramener au sol, grâce à un treuil, avant la destruction totale de l’enveloppe du ballon, mais trop souvent on ne peut éviter la perte de l’observateur.

En dépit des certitudes médicales du moment, elles prétendaient qu’un être humain en chute libre mourait d’asphyxie, de rupture anévrisme ou d’accident physiologique. Deux français lancèrent l’étude d’un parachute pour venir au secours des malheureux aérostiers, trop souvent victimes des tirs de la chasse ennemie. Le lieutenant JUCHMES et le capitaine LETOURNEUR unirent leurs efforts dans un atelier de Meudon la Forêt, non loin de la base militaire de Villacoublay. Sur ce terrain se concrétisa le travail des deux hommes. Le marin gabier CONSTANT-DUCLOS procéda aux essais humains en octobre 1915. Il réalise 23 sauts afin d’homologuer ce nouveau parachute. De ce fait, il s’affirme être le premier parachutiste d’essais militaire. Le travail de ces hommes eut un épilogue heureux, puisqu’ils sauvèrent la vie de nombreux aérostiers. Certains jours de mitraille soutenue, des observateurs n’hésitèrent pas à s’élancer jusqu’à 8 fois dans le vide, passant plus de temps au bout des suspentes de leur parachute que dans leur nacelle. Si les aérostiers adoptèrent sans restriction l’emploi du parachute, question de vie où de mort, il n’en fut pas de même des aviateurs qui boudèrent carrément ce moyen de sauvetage. Pourtant, grâce à la persévérance de certains hommes, dont faisait partie le caporal René LALLEMAND, les essais à partir d’aéronef débutèrent sur le terrain de la base aérienne de Villacoublay. En 1917, muni d’un parachute ROBERT, le téméraire caporal effectue un saut à ouverture commandée, ce qui constitue en la matière une première. LALLEMAND réalisera une vingtaine de sauts, avant d’être suivi en 1918, par le capitaine SARRET. Il faudra attendre longtemps, pour qu’enfin en 1928, l’Armée de l’Air rende obligatoire le port du parachute pour ses pilotes.

L’essor du parachute de sauvetage viendra des États-Unis, qui furent les seuls à poursuivre son étude, après que les hostilités eurent cessé. Excellent major HOFFMAN établit un cahier des charges, qu’il proposa à l’ensemble des fabricants américains. La commission retiendra le projet d’un jeune cascadeur, nommé IRVING ! L’Armée de l’Air américaine adopta aussitôt le parachute d’IRVING, et en rendit le port obligatoire après la mort du lieutenant NIEDEHMEYER, pilote de chasse, qui avait oublié le sien au sol. À cette époque le port du parachute était laissé à la liberté de chacun. La majorité des pilotes dédaignait ce moyen de secours. Pour eux, sauter constituait une lâcheté, un renoncement à poursuivre le vol et à ramener l’avion au terrain. Parmi ces hommes, quelques-uns s’astreignaient cependant à voler avec leur équipement. Le lieutenant NIEDEHMEYER était de ceux-là, malheureusement, mal lui en prit le jour où, venant d’atterrir, il reprit l’air immédiatement pour simuler un combat aérien avec un camarade, juste après s’être défait de son parachute. Les deux avions se percutèrent pendant l’exercice, entraînant irrémédiablement les deux aviateurs dans la mort Depuis ce jour maudit, les pilotes américains portent le parachute.

Côté français, il faut attendre l’accident du Potez 25, avec évacuation en vol qui sauva la vie au colonel commandant la base de Rayak en Syrie, pour qu’une telle décision soit prise. Le Potez 25 prit feu alors qu’il survolait le massif montagneux libanais, par bonheur le colonel et son pilote avaient emporté des parachutes. Impuissants devant les flammes, les deux hommes n’eurent d’autre alternative que d’évacuer par les airs leur aéronef devenu incontrôlable, un piège mortel. Cet accident acheva de vaincre la résistance des opposants au parachute, si bien qu’à partir de 1928, tous les aviateurs français le portèrent à chacune de leurs sorties.

En Russie, le parachute, connut un tout autre développement. Les Russes comprirent très vite les profits d’un emploi militaire de cette invention. Ils constituèrent les premiers une force combattante puissante, bien armée et très mobile. La jeunesse fut enthousiasmée et adhéra en masse à ce nouveau concept. Les jeunes hommes, mais aussi les jeunes filles étaient invités à connaître les émotions et les joies de ce sport qui était en même temps une école de courage et de pugnacité. Des instructeurs parmi les plus talentueux du moment émergèrent en s’adonnant à une course effrénée de records. De jour, comme de nuit, les records se succédaient EVDOKIMOFF chuta pendant 140 secondes le 16 juillet 1935, le capitaine ZABELINE alla encore plus loin dans l’inconnu. en défiant la peur durant 66 secondes de nuit par une météo incertaine dans un ciel parsemé de nuages.

Le retentissement de tant d’exploits, trouva finalement oreille attentive au sein de l’État-Major français, lequel décida en 1935, l’envoi d’une mission d’études avec pour but d’instruire quatre officiers, sur les méthodes d’entraînement des forces spéciales russes. Au printemps 1935, un Dewoitine 333 d’Air-France décolla du Bourget. À son bord, les capitaines GEILLE et DURIEUX de l’Armée de l’Air, le commandant PECHAUD CHALUET DU RIEU, ainsi que le commandant LEFORT du 3° Bureau vont suivre le programme de formation dévolu aux instructeurs soviétiques. Le périple dura deux longues journées, dans des conditions de conforts minimales, la traversée du territoire russe se fit à bord d’un petit monoplan qui atterrit en soirée à Moscou. Très fatigués, ils furent accueillis par les capitaines ZABELINE et MOSKOWSKI. Dès le lendemain, le travail débuta. Les Français allèrent de surprises en surprises, cela commença avec la visite médicale d’aptitude. Un enseignement technique du matériel leur fut prodigué, ils apprirent de la sorte que les Russes avaient remplacé la ceinture de parachutiste par un harnais. De la même façon, ils furent soumis à un entraînement physique puis passèrent aux impressionnants sauts d’initiation à la tour. Enfin le grand, le vrai saut arriva, décollant avec un biplan U 2, ils gouttèrent aux menus plaisirs du parachutisme, non sans émotions. En un mois, et dix sauts, trois d’entre eux obtinrent le brevet envié de moniteur, deux choisirent d’en rester là, LEFORT avait abandonné par blessure, GEILLE se retrouva seul face à sa destinée. Retour en métropole l’État-Major toujours hésitant se décide à créer en date du 12 septembre 1 935, un centre d’instruction de parachutisme. Le général DENAIN confie au capitaine GEILLE, le soin de préparer une structure pouvant accueillir les stagiaires. Finalement, le terrain d’Avignon-Pujaut sera imposé, GEILLE n’est guère enthousiasmé par la configuration de la zone atterrissage. Cela ne l’empêcha pas de s’investir à fond dans sa mission. Locaux vétustes prêtés par l’Armée de Terre, piste encaissée cernée de vignes, l’ensemble est traversé par une ligne électrique haute tension. L’heure n’est pas au découragement. Le 10 octobre douze élèves se présentèrent au campement du Centre d’Instruction Parachutiste. Les Russes avaient dépêché sur place le capitaine KAITANOFF afin de conseiller GEILLE dans sa tâche, lequel avait été prévenu qu’au moindre incident l’expérience serait stoppée nette. Le seul avion disponible est un Lioré 20. Quand arrive le jour du premier saut, la région est inondée par les pluies incessantes. Les douze volontaires accompagnés de l’encadrement durent emprunter des barques pour gagner le terrain. Le Lioré 20 décolla dans des gerbes d’eau. La place avant était dévolue au pilote, tandis que celle de l’arrière servait de soute. GEILLE et un élève s’y entassaient du mieux qu’ils pouvaient. Au commandement de GEILLE le novice s’avançait sur l’aile, puis sautait dans le vide à la hauteur de 500 mètres. Depuis le sol KAITANOFF muni d’un porte-voix corrigeait la position des élèves. L’avion décolla douze fois. Au soir de ce premier saut GEILLE était dubitatif, il ressentit un bonheur immense l’envahir, il sut qu’il avait gagné. Chaque élève effectua treize sauts de qualification regroupant, l’ouverture automatique, commandée, retardée, la glissade, les sauts avion en piqué et en virage sans omettre l’utilisation de la voile de secours.

Cependant Paris hésite encore. Il faudra le revirement du colonel MENDBRAS de l’Armée de Terre pour qu’enfin, après un an et demi de tergiversations, soit décidée, le 9 octobre 1936, la création de deux Groupes de l’Infanterie de l’Air, le 601 et le 602°. Ils seront stationnés à Reims et à Blida en Algérie. Le 9 janvier 1937, deux stages moniteurs sont décidés, le premier débute le 18 du mois et se termine le 17 avril. Le C.I.P enchaînera en Suite sur le second stage. Du stage de 1935, GEILLE aurait conservé cinq instructeurs. Ceci reste soumis à controverse, les témoignages diffèrent entre les textes et les acteurs de cette épopée. Il s’agit des adjudants pilotes HORVATTE et DISDIER et des sergents-chefs mitrailleurs GROSPEBHIN et WEHNER. Il convient de nommer le sergent-chef FRITZ, mécanicien du groupe, impétueux homme de tête qui harcela GEILLE jusqu’à obtenir un poste de moniteur, ce que son statut de non-naviguant lui interdisait. Par la suite, le renfort vint du lieutenant de RAYMOND-CAHUZAC qui mourut à Reims lors d’un saut à 5 200 mètres sans inhalateur sous le regard impuissant du sergent-chef CHAIX.

L’adjudant HASPEL et le sergent VIDAL complétèrent l’équipe de Pujaut, La tâche de ses hommes fut harassante, et leur comportement exemplaire à bien des titres. Hormis l’instruction des recrues, ils essayèrent de nouveaux parachutes et mirent au point des containers largables. La première année d’existence de l’unité, 2000 sauts furent effectués sur le site de Pujaut. On déplora au titre des dommages, un bras cassé, résultat de l’unique accident corporel survenu à un officier de la Marine. GEILLE pouvait dormir tranquille. Le travail de mise au point des parachutes se poursuivit, un constructeur proposa une voilure capable de supporter le poids d’un soldat équipé. FHITZ et ses camarades confrontés au problème de l’atterrissage inventèrent une gaine pouvant accepter 25 kilos d’équipements individuels où d’armement, l’ensemble était prolongé d’un filin de 8 mètres. Pour l’armement collectif, ils créèrent un bidon parachutable offrant une capacité de 80 kilos. L’ensemble se fixait sur les points d’accrochage des bombes.

Un Potez 650, nettement plus adapté à la mission fut affecté à l’unité. L’avion reçut de nombreuses modifications pour le rendre compatible à son nouvel emploi. Il reçut notamment une trappe, deux portes coulissantes ainsi que des lance-bombes intérieurs. En utilisation para, le Potez 650 transportait 14 combattants et leur barda, le largage s’opérait en 8 secondes une fois les hommes entraînés.

Le capitaine GEILLE se vit confier l’intégralité du travail de création des 601 et 602° Compagnies d’Infanterie de l’Air. Il rédigea tout, des textes administratifs à l’établissement des tableaux de dotation et d’effectifs des unités. Le 18 janvier 1937, un premier contingent d’une trentaine d’hommes, tous volontaires, rejoignait les installations de Pujaut. L’entraînement put s’effectuer dans de bonnes conditions. Le 1 février, le capitaine SAUVAGNAC eut l’honneur de s’élancer le premier de la coupée du Potez 650 de l’école à la tête de ses hommes. La formation en vol comportait douze sauts, à l’issue de laquelle les recrues reçurent leur diplôme. Notons pour mémoire historique, que le capitaine SAUVAGNAC reçu le brevet numéro 1, tandis qu’un certain sergent-chef CHAIX obtenait le numéro 22. Las, des modalités portant création des deux compagnies se faisant attendre, les nouveaux brevetés furent fermement conviés à rejoindre leurs unités respectives. Ces valeureux garçons, que le sort abandonnait durent participer à des meetings pour conserver les fruits de leur difficile apprentissage. C’est ainsi qu’ils participèrent aux démonstrations de Villacoublay. Devant une foule considérable de 250 000 personnes, sous les yeux du Président de la République, les paras donnèrent un aperçu de leur capacité d’intervention. Ils sautèrent par vagues successives d’avions, arrivés au sol, ils se déployèrent en formation de combat et mimèrent la conquête d’un objectif. Tactiquement ce fut parfait.

L’exposition universelle de Paris en 1937 marqua un pas important pour la vulgarisation du phénomène parachutiste. Une tour d’une hauteur record, atteignant 65 mètres avait été spécialement érigée pour l’événement. Placée sur le Champ de Mars, face à l’école militaire, elle prolongeait la perspective vers la Tour Eiffel. L’ouverture au public fut reportée à la mi-avril. Les délais de fabrication et de mise au point furent retardés par les mouvements sociaux conséquence du mouvement populaire qui mènera, deux ans plus tard, la France affaiblie à déclarer la guerre à l’Allemagne, sans s’y être préparée. Le sergent- chef CHAIX participa activement à cet épisode préparatoire. L’une de ses tentatives de réglage de la machinerie se termina par une entrée aussi fracassante qu’inattendue dans la cage de l’ascenseur. Sous l’effet d’une bourrasque de vent sa trajectoire de chute s’en trouva déviée. L’infortuné parachutiste se releva avec quelques bosses et en fut quitte pour une bonne frayeur. Par la suite une attention particulière fut apportée sur les conditions aérologiques, et aucun incident fâcheux ne ternit la suite de l’exposition.

Rapidement une foule considérable se pressa aux abords de la fameuse tour. Chaque visiteur pouvait prétendre à disposer de l’attraction des militaires, forains d’un nouveau genre et acceptés comme tel par les patrons des manèges disposés au pied de la tour. Les prétendants se voyaient équipés d’un harnais, ils se dirigeaient ensuite vers l’ascenseur qui les emmenait sur la plate-forme, où enfin un para les accrochait au parachute, leur prodiguant les derniers conseils. L’un après l’autre ils se jetaient dans le vide, souvent inconsciemment en pleine confiance. La vitesse de chute d’environ 5 mètres par seconde, était maintenue constante par un adjudant-chef mécano moustachu, qui passait la journée perché au sommet de l’édifice. Muni d’un levier de bois, ce dernier opérait manuellement sur le frein électromécanique, en peine de remplir son action. Aussitôt posé le candidat téméraire était immédiatement déséquipé de son harnais. Parfois la ruée devenant incontrôlable, il fallait en appeler aux forces de l’ordre afin de rétablir un semblant d’organisation. Octobre arriva, l’exposition fermée, la tour démontée retrouva une place de choix à Choisy-le-Roi, au Service de la Formation Aéronautique.

La confirmation de leur valeur opérationnelle, les paras l’apportèrent eux-mêmes au cours de deux exercices qui se déroulèrent dans la deuxième moitié de l’année 1939. Aux grandes manœuvres du Sud-Est, les paras s’emparèrent du pont Mirabeau sur la Durance. Ils participèrent ensuite aux manœuvres de Normandie, où par une démonstration magistrale, les paras capturèrent un général et tout son Quartier Général. À cette occasion, ils sautèrent sous la pluie à 100 mètres d’altitude, dans des conditions météo épouvantables. Les services de renseignements assuraient qu’aucun avion de chasse ne pouvait décoller dans de telles conditions. C’était méconnaître des pilotes de bombardement et de leurs appareils, lesquels parvinrent à rouler s’élancer sur des pistes détrempées.

Dorénavant Paris ne douta plus de l’efficacité des troupes aéroportées. L’effet de surprise inhérent à ce type d’opération constituait un élément déterminant d’une bataille dont l’État-Major ne pouvait se passer. L’existence des deux Groupes d’Infanterie de l’Air étant admise, le commandement du 601° fut confié au capitaine SAUVAGNAC et basé à Reims, tandis que le capitaine LOISEAU recevait le commandement du 602°, stationné à Alger avec pour mission d’y effectuer le maintien de l’ordre. La survenue de la deuxième guerre mondiale donnera aux paras un gigantesque champ de bataille. Ils subirent des pertes au-delà du rationnel, leur bravoure et leur ténacité au combat leur valent de figurer aujourd’hui parmi les unités héroïques de ce conflit.

Philippe HERVET (P65)


Lexique :

1 – Brasse : ancienne mesure de longueur égale à l’envergure des bras d’un homme.

2 – Le sergent-chef CHAIX formera avec le colonel ROZANOFF pilote d’essais et créateur du Centre d’Expérience Aérienne Militaire de Mont de Marsan, la section des parachutistes d’essais. Il termine sa carrière avec le grade de colonel, il est officier de la Légion d’Honneur.

3 – Le lieutenant PAPIN, était pilote car à cette époque pour devenir para dans l’Armée de l’Air, il fallait avoir la qualification de navigant. Il est né le 31 juillet 1905 à Paris, il suit de hautes études d’ingénieur, d’abord à Centrale puis SUPAERO, il est breveté pilote le 22 octobre 1930. Il suit le stage para d’Avignon-Pujaut en octobre-novembre 1935. Le 21 février 1939 il est nommé moniteur parachutiste, brevet N°2, le N°1 n’est autre que le Commandant GEILLE. Il combat lors de la campagne de France en 1939, puis participe aux campagnes en Tunisie, Italie puis en France Il meurt en partant au combat en Indochine le 1 février 1946. Il donne son nom à la Base Aérienne 116 de LUXEUIL.